Le Comté : du lait à la meule, tout savoir sur la fabrication et l’affinage du Comté
La semaine dernière j’ai eu la chance de partir dans le Jura avec les gagnants du challenge Comté. Alors que nous sillonnions les routes pour rejoindre les différentes étapes de notre périple, nous avons pu admirer les magnifiques paysages du Jura.
Il s’en dégage une impression de calme et de sérénité et je trouve que c’est un paysage très reposant.
Pour fabriquer le Comté, il faut 3 personnes, l’agriculteur (et ses vaches bien entendu), le fromager et l’affineur que l’on appelle de plus en plus caséologue.
Première étape dans la fabrication du Comté : le lait
C’est dans une ferme de la coopérative de Bonnétage, appellée également fruitière que nous avons assisté à la traite des vaches de race Montbéliard. On retrouve les premières traces des coopératives dans le Jura au Moyen âge où elles sont été créées pour mettre en commun le lait et fabriquer des fromages de grande taille et qui se gardent longtemps, seul moyen à l’époque de conserver le lait et d’avoir de quoi se nourrir durant les hivers très rudes du Jura.
Ces coopératives s’appelaient « fructerie » pour devenir aujourd’hui des fruitières.
La traite des vaches a lieu 2 fois par jour chez les différents agriculteurs. Les vaches se nourrissent d’herbe durant la moitié de l’année puis de foin durant les mois restants. Chaque lait est différent, selon la saison et l’endroit où se nourrissent les vaches. C’est en partie pourquoi chaque Comté est différent au niveau de son goût et de son aspect (un comté fabriqué avec du lait d’hiver a une couleur plus pale que celui fabriqué avec du lait d’été).
Tous les soirs, le lait est collecté pour la coopérative de Bonnétage (fruitière) dans les 11 exploitations qui la composent et qui ne sont jamais à plus de 25 km de la fruitière. Le lait est mis dans des cuves afin qu’il refroidisse à 12°C, température optimum pour que la flore soit la plus vivace.
Deuxième étape : fabrication et pré affinage dans une fruitière
Le travail commence avant l’aube. Le fromager écrème le lait puis le chauffe à 30°C dans de grandes cuves en cuivre pour le laisser ensuite « maturer » pendant 30 minutes.
Il ajoute ensuite de la pressure qui va servir à faire cailler le lait. Le lait met environ 1 h 30 à 2 heures pour cailler. Avec la présure, il ajoute toujours un peu de petit lait récolté lors de la fabrication de la veille, afin d’assurer une sorte de continuité, garantie du terroir. C’est un peu comme le boulanger qui utilise le même levain, nourri de jour en jour.
Vers 8 h, intervient le « décaillage », opération faite à la main par le fromager qui, à l’aide d’un tranche-caillé, va découper le caillé en petits morceaux, ce qui lui permet de séparer le caillé du petit lait mais également de juger de la structure du caillé. Opération importante et qui demande ce que l’on appelle le coup de main du fromager.
Le contenu de la cuve est ensuite chauffé progressivement jusqu’à environ 55°.
Vient ensuite le soutirage qui intervient dès que le caillé est à la bonne consistance. La cuve est vidée dans des moules perforés, afin de laisser s’écouler le petit lait (ou lactosérum) et de ne conserver que le caillé.
Le fromager place au bord de chaque moule (ce qui formera le talon de la meule) une plaque verte de caséine qui indique la date et le lieu de fabrication.
Les moules sont placés dans une presse et le pressage se fait par hydrolyse.
Les fromages, qui ne sont pas encore des meules et que l’on appelle « en blanc » sont démoulés environ 24 heures plus tard et entreposés dans une autre pièce pour le préaffinage.
Dans la fruitière de Bonnétage, la pièce est à 12°C avec un fort taux d’humidité. Les fromages sont posés sur des étagères en épicéa afin qu’ils puissent respirer.
Les fromages sont frottés avec un mélange de sel et de petit lait puis retournés très régulièrement. C’est ce qui permet à la croûte de se former. Cette croûte sert à protéger le fromage, elle empêche les interactions avec l’extérieur et va permettre au fromage de murir correctement.
Les fromages restent dans cet endroit pendant environ 3 semaines, pour ensuite aller dans des caves d’affinage pour une durée allant de 5 mois à bien plus longtemps.
Etape 3 : l’affinage en caves
Pour cette étape, nous sommes allés au Fort Lucotte de Saint Antoine, fief de du fromager affineur Marcel Petite. Il s’agit d’une forteresse souterraine construite par l’armée entre 1879 et 1882, à 1 000 m d’altitude.
De l’extérieur, pratiquement rien ne dépasse, à part une sorte de monticule de terre, un mur de pierres et une grande porte. Impossible de soupçonner ce qui se passe à l’intérieur et j’avoue que c’est certainement l’endroit le plus impressionnant que je n’avais jamais vu.
Alors que nous approchions de cette porte assez intrigante, un homme tout en blanc est venue à notre rencontre, un maitre affineur passionné, Claude Querry.
J’ai beaucoup aimé l’histoire de Marcel Petite, fromager à l’origine, qui sur un coup de tête a loué le fort désaffecté de Lucotte de Saint Antoine en 1966 qui avait été acheté par la commune de Saint Antoine à l’armée l’année précédente. Son idée était de profiter de la structure particulière de ce fort souterrain pour en faire une cave d’affinage dans laquelle le Comté pourrait d’affiner de manière lente dans les meilleurs conditions possibles.
Ses collègues l’ont pris pour un fou et il s’est retrouvé tout seul pour son projet très ambitieux.
Belle réussite, l’endroit est complètement magique, il est surnommé la cathédrale du Comté à juste titre. Je ne pouvais détourner mes yeux de ces piliers immenses en bois d’épicéa qui abritent 100 000 meules de comté qu’il faut chaque semaine retourner, brosser et saler afin d’éviter les moisissures sur la croûte précieuse du fromage. Tout cela pour assurer son bon développement.
C’est dans cette cave qu’interviennent les affineurs ou caséologues. Leur métier consiste à cueillir chaque fromage quand il est à sa juste maturité, comme on cueille un fruit dans un verger.
Pour cela, ils utilisent un outil dont ils ne se séparent jamais : la sonde. Elle permet de juger de la maturité d’un Comté, sans avoir besoin de l’ouvrir.
L’affineur Claude Querry tape la meule avec le manche de sa sonde et il écoute ce que le Comté lui raconte. Et comme la sonde ne peut atteindre que la moitié de l’épaisseur de la meule, il faut à chaque fois retourner la meule. La sonde permet également, avec la partie métallique, de prélever un petit morceau de Comté, afin de juger de sa texture, de son odeur et de son goût.
Un bon affineur pense même à ses clients quand il « juge » une meule », chaque client ayant des goûts et des attentes différents. Ce n’est pas une blague et d’ailleurs, Claude Querry, maitre affineur m’a confirmé que c’est bien du Comté affiné par Marcel Petite qui est acheté par le fromager chez qui je vais à Vincennes. C’est dire s’il connait bien ses clients.
Le métier d’affineur ne s’apprend que dans les caves, avec le temps.
Difficile en comprenant l’énorme travail qui est fourni par les différentes acteurs de manger un morceau de Comté de la même manière.
Je vous invite également à lire mon billet sur comment déguster un Comté, histoire de ne pas passer à coté de tout ce travail qui a été fourni par ces hommes passionnés.
NB : Le Comté est un fromage au lait cru, à pâte pressée cuite qui bénéficie d’une AOP depuis 1958. Pour fabriquer une meule de Comté, qui pèse entre 35 à 40 kg, il faut 400 litres de lait.
Crédits photos (sauf la première) : Pascal Dhennequin, le photographe qui a participé à notre escapade et dont les photos sont nettement plus réussies que les miennes.