Il y a trois semaines, David et moi avons rencontré Patrick Chazallet qui est venu dîner à la maison. Pour ceux qui viennent de rejoindre " C'est moi qui l'ai fait ! " Patrick nous donne à chaque billet, le meilleur accord Mets et Vins.
Depuis que j'ai commencé à écrire ce blog, j'ai eu l'occasion de rencontrer d'autres auteurs, soit de blogs de cuisine, soit d'autres blogs et, à chaque fois, j'ai eu l'impression de déjà les connaître à la lecture de leurs blogs respectifs.
Avec Patrick, la règle s'est confirmée et c'est amusant de voir qu'il n'y a pas ce petit moment un peu étrange la première fois que l'on rencontre une personne : " Et toi, tu fais quoi dans la vie ? ".
Nous avons passé une soirée très agréable à discuter de beaucoup de choses, et pas seulement de cuisine ou de vin !
Bien évidemment, pour une fois que j'avais un expert en vin en chair et en os devant moi, je n'ai pas pu m'empêcher de poser mille et une questions.
De fil en aiguille, nous avons décidé de faire un billet commun avec les dix questions que je me pose sur le vin et les réponses de Patrick.
C'est notre cadeau de Noël, un peu avant l'heure, à nos lecteurs et lectrices respectifs.
Pascale : En région parisienne, je n'ai pas de cave voûtée. Puis-je conserver du vin ?
Patrick : Vaste débat que la question de la conservation du vin !
Première remarque liminaire : depuis que Bercy taxe les stocks, les viticulteurs n'ont plus les moyens de conserver plusieurs millésimes avant de les commercialiser. Avec la conséquence d'être contraints de se tourner vers des vinifications assouplissant les vins dans leur jeunesse ce qui, forcément, leur confère une moindre longévité.
Seconde remarque liminaire : les vins sont beaucoup moins fragiles qu'on veut nous le faire croire. S'il ne faut pas faire vraiment n'importe quoi en matière de conservation, c'est tout de même moins délicat que le disent les vendeurs de caves d'intérieur électriques, les creuseurs de cave en colimaçon sous les garages (pratique quand on a 30 ans, mais impraticables à 50 avec un peu d'embonpoint) et les loueurs d'emplacements sécurisés dans les centre-ville qui sont fermés aux heures où généralement on va chercher une bouteille à la cave...
Je ne vais pas répondre directement à la question de Pascale, mais plutôt lister par ordre décroissant de danger les ennemis du vin. Vous choisirez ensuite le meilleur emplacement en fonction de ces informations.
1/ L'air
C'est le principal ennemi du vin, mais il joue peu sur la conservation car, en général, les bouteilles sont bouchées. Si ce n'est pas le cas, il y a de grandes chances que vous vous soyez fait avoir !
2/ Les odeurs
Le vin déteste certaines odeurs concurrentes à savoir le pétrole, l'ail, le poireau, la pomme de terre germée, le fromage et toute odeur se rapprochant de la putréfaction. Attention, quelques mois seulement de voisinage avec des tresses d'ail suffisent à modifier le goût d'une bouteille.
3/ La lumière
Une longue période d'exposition à une lumière crue " flinguera " assurément une bouteille. Cependant, les bouteilles sont traitées anti-UV (même les blanches) et supportent parfaitement une lumière douce continue ou de courtes expositions à une lumière vive. En résumé, ignorez une pièce baignée par le soleil, mais il n'est pas nécessaire d'acquérir un chien d'aveugle pour aller chercher une bouteille !
Attention, cependant au champagne, beaucoup plus sensible que les autres vins. Une à deux semaines d'exposition à la lumière des néons dans un rayon de grande surface et la plus prestigieuse cuvée de Champagne aura pris " le goût de lumière ", c'est-à-dire que le breuvage ressemblera fort à de l'eau gazeuse ferrugineuse.
4/ Les vibrations
Evitez le voisinage immédiat de la chaudière, de la machine à laver ou du sèche-linge. Egalement le mur mitoyen d'un tunnel de métro.
5/ La température
La température idéale est comprise entre 12 et 14°C. En fait le vin se conserve convenablement entre 0° et 25°C. S'il reste en permanence à 25°, il prendra grosso modo une année de vieillissement supplémentaire tous les 15 ans. En revanche, il faut éviter les brusques amplitudes, par exemple couper le chauffage toutes les nuits. Un contre exemple : les vins " sans soufre " qui ne supportent pas les températures supérieures à 16°C sous peine de les voir repartir en fermentation.
Pascale : Je vais servir du vin blanc ce soir, Chablis ou Sancerre par exemple. Dois-je le mettre au réfrigérateur ? Si oui, combien de temps à l'avance ?
Patrick : Oui, on peut mettre tous les vins au réfrigérateur pendant plusieurs jours. Le mieux est d'y glisser la bouteille quatre heures avant de la déguster, l'idéal est le sceau avec des glaçons et de l'eau, mais personne ne fera la différence. Pour conserver la température du vin le temps du service, il est bon d'avoir en permanence au frais un porte-bouteille en terre dans laquelle on glissera la bouteille sur la table.
Pascale : Même question pour le champagne ?
Patrick : Idem pour le Champagne.
Pascale : J'ai toujours entendu dire qu'il faut ouvrir les bouteilles de vin rouge quelques heures avant de passer à table. Est ce vrai ?
Patrick : Non, sauf si on ouvre la bouteille la veille, et encore. L'oxydation dépend de la surface de liquide en contact avec l'air. Le vin remontant dans le goulot, cette surface est ridicule. A la rigueur, si on veut que cette opération présente un intérêt, il faut s'en servir un verre au moment de l'ouverture, ce qui permet au sommet du vin de se trouver à hauteur de la bouteille augmentant ainsi la surface " aérée ". Dans tous les cas, l'utilisation de la carafe est préférable.
Pascale : On m'a offert une carafe il y a quelque temps, mais je ne sais jamais avec quel type de vin m'en servir. Quand et comment dois-je l'utiliser ?
Quelle est la différence entre " carafer " et " décanter " un vin ? Dans quel cas ou avec quel vin dois-je utiliser l'une ou l'autre des techniques ?
Patrick : Quand on utilise une carafe, il faut distinguer, comme tu le dis, le " carafage " de la " décantation ".
Le carafage s'adresse à tous les vins jeunes qui ont besoin d'un peu d'air pour s'exprimer. La carafe doit être large là où le vin est en contact avec l'air. On doit verser le vin dans la carafe sans ménagement, voire même en le bousculant un peu s'il s'agit d'un vin jeune qui, normalement devrait être bu dix ans plus tard. Je préconise la carafage systématique pour les vins de trois ans ou moins.
La décantation a un tout autre objectif, puisqu'il s'agit de mettre le vin dans la carafe et de laisser le dépôt dans la bouteille. Ceci s'applique à des vins de quelques années, le dépôt augmentant avec l'âge.
Attention, aucune systématisation n'est possible car plus le vin est vieux plus il est fragile et sujet à une oxydation rapide. Il faut donc procéder comme suit quand on sert un vénérable flacon : 4 heures avant la dégustation, on ouvre la bouteille inclinée et on goûte le vin - 3 cas de figure :
1- le vin nécessite une aération qu'on estime (pas de recette miracle, que de l'expérience) et on décante alors au moment opportun.
2- Le vin ne nécessite pas d'aération, mais il parait solide. On rebouche alors la bouteille et on décante au moment du service.
3- Le vin semble fragile, on rebouche la bouteille et on l'apporte telle quelle à table. Il vaut mieux boire un peu de dépôt que 75 cl propres mais madérisés.
Les meilleures carafes à décanter sont celles inclinées avec un bec de canard, en étain généralement.
Pascale : A quelle température doit-on servir le vin ?
Patrick : Rien sous 10°C et rien au dessus de 18°C.
1- Champagne de base, rosés de vacances et petits blancs à 10°C.
2- Grands champagnes et blancs ou rosés respectables à 12°C.
3- Rouge de soif et Alsace rouge à 14°C.
4- Val de Loire, vin jaune du Jura, Rhône septentrionaux aimables, Bordeaux et Bourgogne génériques à 16°C.
5- Tous les autres à 18°C.
Le froid anesthésie les sensations et ne doit donc être utilisé que pour des vins défectueux. A plus de 20°C, n'importe quel vin ressemble à du potage, et comme il se réchauffe dans le verre, le service à 18°C est approprié. N'oubliez pas que l'expression " chambrer le vin " date du XVIIè siècle où les châteaux étaient glaciaux et où on mettait les bouteilles près de la cheminée de la chambre. Ils ne devaient pas cependant excéder les 16°C.
Pascale : Pourquoi le vin rouge n'a-t-il pas le même goût au début du verre et à la fin ?
Parick : Deux facteurs que nous avons déjà évoqués peuvent intervenir : l'oxydation et le changement de température. En carafant un vin jeune et en le servant à bonne température on minimise le phénomène. Pour les très vieux vins, il est préférable de les laisser peu de temps dans le verre.
Pascale : Les supermarchés ont de plus en plus de vin ? Puis-je acheter chez eux en toute confiance ou dois-je toujours aller chez un caviste ?
Patrick : Les conditions de conservation étant ce qu'elles sont, une première règle est de n'acheter en grande surface que des cartons ou caisses pleins. On évite ainsi le problème de la lumière, les bouteilles debout et quelques manipulations.
En respectant cette règle, on peut acheter en confiance et sans connaissance particulière le champagne de marque (petites lettres NM sur l'étiquette, jamais de CM et encore moins de MA, voir note) et les châteaux bordelais. Pour tout le reste, mieux vaut s'adresser à un homme de l'art qui saura donner le bon conseil et qui aura pris soin des bouteilles.
Pascale : Je n'ai pas la place ni le budget pour avoir différents types de verre à vin. Existe-t-il un verre idéal qui peut convenir à une majorité de vins ?
Patrick : OUI ! et je vais même faire une publicité éhontée : toute la collection " Authentis " du verrier Spiegelau est parfaite. Elle a été dessinée par Jean Pierre Lagneau, ingénieur acousticien français, avec l'objectif que la bouche soit le parfait prolongement du nez, sans rupture. Au sein de cette collection, le verre " Expert " est le plus polyvalent et le moins fragile. Si, en plus, vous voulez faire une bonne action et soutenir la biodiversité et l'agriculture ou la pêche éco-durable, vous pouvez m'en acheter, frappés de l'Escargot Slow Food au prix de 7 € pièce départ Bordeaux, franco Paris. Même pas honte, c'est pour la bonne cause.
Pascale : Si je ne finis pas ma bouteille de vin, puis-je encore en boire le lendemain ? Si non, quelles sont les utilisations possibles ?
Patrick : Il existe un petit appareil très futé et nommé " vacuvin " composé de bouchons en caoutchouc et d'une pompe. On pose le bouchon sur la bouteille, on pompe jusqu'à rencontrer une résistance et on conserve 48 heures le vin sans qu'il ne s'altère significativement puisqu'on a ôté la majorité de l'air de la bouteille. Cet appareil est de surcroît peu onéreux et très résistant. Si on ne possède pas de vacuvin et si le vin est peu oxydé, il peut être recyclé en sauce. S'il n'est plus buvable, on le verse dans le vinaigrier que vous possédez tous, j'en suis persuadé ! TRES IMPORTANT ! Ne jamais mettre de vin bouchonné sous peine d'obtenir un vinaigre de liège ! Une seul destination possible : l'évier.
Pascale : Pourquoi le vin est-il si cher au restaurant ?
Patrick : Deux raisons au prix élevé du vin au restaurant :
1- les clients refusent de payer la nourriture à son vrai prix, les restaurateurs doivent donc faire la majorité de leur marge sur le vin.
2 - les contrôleurs des impôts considèrent que le coefficient moyen de revente du vin à table doit être de 3. S'il est inférieur, la plupart du temps ils appliquent un redressement ! Ce qui n'incite pas à la modération.
Patrick : J'espère avoir éclairé modestement votre lanterne oenophile; à mon tour de vous poser une question : qu'est ce qu'on boit ce soir ?
Pascale : Merci mille fois Patrick.